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fois il avait un geste de satisfaction, son lumineux sourire qui signifiait : Cela va mieux. Aux moribonds, qui le suppliaient pour la vérité, il versait le vin prodigieux du mensonge. Une seule fois je l’ai vu, en colère, chasser de son service une canaille de Rasta qui, sous prétexte de percuter un poumon, avait, par sa maladresse brutale, déterminé une hémorragie. Tout ce qu’on lui demandait, il l’accordait. J’osai un jour lui adresser la parole et le prier de me garder encore quelque temps dans les salles, bien que je fusse parfaitement guéri de mon pied et de ma rougeole. Sur un signe favorable de Barbasse, il y consentit.

Le plus possible je l’accompagnais. Je me rendais utile. Je préparais l’encre et le papier des élèves aux cliniques, le fauteuil où s’asseyait Charmide, la table où il disposait ses notes et je restais là pour entendre sa voix, jouir de sa présence. La visite achevée, je montais dans une petite pièce où il mettait son pardessus et son chapeau et je savourais ses enseignements complémentaires, familiers et toujours profonds.

Certes, j’avais envie de revoir notre pays ; mais je savais les difficultés inouïes dont serait hérissé le départ, beaucoup d’entre nous malades, d’autres morts, tous dispersés. J’étais sans nouvelles du capitaine, et j’attendais les événements, prenant notre mal en patience. La petite Marie venait me voir. Elle devait me trouver froid à son égard, car, fatigué par tant de secousses, j’étais peu porté sur la bagatelle. Je sortais rarement de la salle. Ces alternatives d’un pâle soleil, de pluie et de giboulée ou de brumes noires ou blanches ne m’attiraient guère. Comme chez Malasvon, je m’asseyais contre le poêle, mais ici je voyais les pauvres redevenus des hommes graduellement, grâce aux soins, à la mansuétude. L’hôpital Typhus est une belle école. Il prouve comme l’humanité est malléable, prompte à toutes les empreintes, comme la révolte, la violence et la haine sont les filles de l’injustice. Ah, Morticoles, les