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travail et à son génie. Jaury me promit, en outre, de me recommander à son collègue, l’interne Barbasse.

Je quittai la salle Vélâqui, chaudement enveloppé de couvertures, et fus transporté, avec précaution, au lit numéro huit du service de Charmide, à l’autre bout de l’hôpital. Tiède, paisible, d’aspect familial, cette salle Bucolin était petite et bien rangée, aux soins d’une gracieuse surveillante qui souriait en montrant de jolies fossettes. Une merveilleuse atmosphère de bonté dissipait la crainte, laissait voleter l’espérance autour de l’arbre du mal. L’interne Barbasse était un garçon poli et dévoué. Une fraîche tisane m’amena dans la bouche une oasis, au milieu des déserts sablonneux de la fièvre. Un parfum léger chassait les miasmes. J’avais des draps blancs, du linge bassiné, un bonnet de coton tout neuf. Deux grands paravents m’isolaient de mes voisins, me constituaient une sorte de maisonnette, de domicile, et je m’assoupis dans un bien-être inexprimable.

Le lendemain, je vis l’admirable docteur Charmide à la tête si sérieuse et si bonne et telle qu’on en oublie les traits pour ne se rappeler que l’expression morale d’apaisement, de mansuétude. Lui pour la médecine, Dabaisse pour la chirurgie, voilà les deux phénomènes de compassion que leurs collègues regardent avec envie et stupeur, mais désarmés, car ici la médisance ni la calomnie n’ont de prise. On ne s’imagine pas le sourire divin de Charmide, sa parole voilée, la douceur de la main qu’il impose sur les tempes brûlantes des malades, le repos, la tranquille et sûre confiance qui émanent de lui comme une auréole morale. Comme Dabaisse, il croit au même Dieu que moi. Il n’y a chez les Morticoles que deux héros, que deux apôtres et ils sont chrétiens, malgré les sarcasmes. Ils ont appris la commisération, l’indulgence souveraine aux pieds de la croix. Ô le regard pénétrant de Charmide ! Quand il le dirigea vers mon regard, je sentis qu’il me pénétrait l’âme. Il m’interrogea sur mon passé,