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CHAPITRE IV


Mon ignoble métier, qui faisait de moi un salarié de l’hôpital, m’avait enlevé mes relations avec les malades, dont je devenais le bourreau posthume. D’ailleurs, le plus souvent je rentrais tard et j’avais des cauchemars affreux d’où me tirait la main brutale du veilleur. Je ne connaissais donc point les hôtes changeants des lits contigus, successeurs de la barbe rousse et d’Alfred. Je remarquai à peine un corps enfoui à ma gauche dans ses draps, qui respirait difficilement et suait à grosses gouttes. Au réveil, je trouvai une lettre indignée de Trouillot qui me reprochait ma paresse. Je lui répondis que je ne voulais plus l’assister, que je renonçais à ma fonction, et j’écrivis dans le même sens au directeur, ajoutant que dans quelques jours, d’après l’assurance de l’interne, mon pied serait parfaitement remis. Le directeur me fit savoir qu’il acceptait ma démission de garçon d’autopsie, mais que je ne quitterais l’hôpital que sur décision expresse du docteur Malasvon. En attendant, vu qu’on était content de moi, je pouvais devenir garçon de salle, à la solde ordinaire des infirmiers, comme l’est actuellement votre compatriote Trub, ajoutait la lettre.

Trub encore en vie ! La joie de cette nouvelle me fit oublier tout. Trub, le préféré du capitaine Sanot, était un délicieux garçon, mince, court sur pattes, à la figure fripée et maline, aux cheveux collés comme s’il sortait de