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L’ABERRATION ROMANTIQUE

Gautier et Théodore de Banville, le poison romantique est très atténué. Il est plutôt une amusette, un hors-d’œuvre, qu’une nourriture, et il ne prétend plus à l’éducation, ni à l’évangélisation des masses populaires. Banville et Gautier permettent d’étudier, sans légitime irritation, les colifichets du romantisme, et de prendre plaisir à ses jeux syntaxiques. Mais « le père » qui est « là-bas dans l’île », a droit à une appréciation d’autant plus rigoureuse (du point de vue intellectuel et social) que le cabotinage était, chez lui, parfaitement lucide et conscient. L’hypocrisie de son existence privée (partagée entre sa femme légitime et sa maîtresse Juliette Drouet, celle-ci installée, pendant l’exil, à cent mètres de celle-là) en est la preuve saisissante. Que signifient tant d’hymnes éperdus à la famille, à l’amour conjugal, paternel et grand-paternel, quand la famille est, en secret, bafouée de cette façon ! Il est toujours extrêmement fâcheux qu’un homme éloquent, distingué par des dons lyriques hors pair, se donne ainsi pour ce qu’il n’est pas et nous joue Tartuffe en naturel, sur un rocher battu par les flots. Je préfère l’existence vadrouillarde, mais franche, de Paul Verlaine à la fausse auréole vertueuse de Hugo. Soyez salace, si c’est votre penchant, sacreblotte ; mais ne vous posez point, pour la postérité, en lauréat du prix Montyon ! Il en est de même pour l’avarice légendaire de l’auteur des Châtiments, qui ne se châtiait guère lui-même. L’avarice avouée peut être excusable et même comique ; au lieu qu’elle est odieuse, sous le masque de la générosité éperdue. Harpagon,