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L’ABERRATION ROMANTIQUE

trop admirés, trop encensés, et qui ne savent pas en somme ce qu’ils veulent, un ambassadeur du dégoût universel dans la lune, un Alceste fouetté par l’ouragan et l’éclipse. Il regrette et il déplore tout le temps, on ne sait pas au juste quoi ; il ne sait pas lui-même ; mais il le déplore et il le regrette. Ce « chat » — comme disait la trop indulgente Mme de Chateaubriand — devait être d’un contact insupportable, ainsi que ceux qui exigent que l’on s’occupe d’eux et de leurs humeurs, sans interruption.

En politique, un écrivain de grande et éloquente embouchure, du caractère de Chateaubriand, ne peut qu’aboutir à la pire confusion ; attendu qu’il souhaite (par hantise du charnier) la décrépitude et la disparition de ce qu’il est censé symboliser et regretter. Il lui faut à tout prix un thème de désespérance et il le puise dans l’effondrement et le piétinement de ses plus chères convictions. Dieu garde les grandes et justes causes de ces amers porteurs de couronnes funèbres !

Il est deux sortes de mélancolie ; l’une qui pousse à l’action, et que l’on peut dire héroïque, qui a sa formule dans la bouche du Taciturne, dans sa fameuse maxime sur « ce qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ». C’est la mélancolie de Bonald et de Joseph de Maistre. Elle s’inspire de ce mulla renascentur, qui est une des plus exactes et profondes lois de la vie. L’autre mélancolie, simplement lyrique, est stérile. Elle donne une gloire d’attitude à celui qui