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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

point vibrer aux Mémoires d’Outre-Tombe, aussi violemment que me l’avaient annoncé mon père et ma mère, mes guides intellectuels habituels. Il faut d’ailleurs considérer que le chateaubriandisme de 1830 fut réveillé par le flaubertisme, qui fait le pont entre le romantisme et le réalisme naturaliste. Chateaubriand fut, en somme, le grand promoteur de ce que j’appellerai la littérature d’attitudes ; et il la porta d’emblée à son plus haut point d’habileté, par son don musical de la période. Il remplace le plaisir de l’esprit par celui de l’oreille, la réflexion ou l’observation par une sorte de lamento, tiré de la courte durée de notre passage sur la terre, de la fragilité des entreprises et de la brièveté des amours. Sentiment perçu par les femmes, avec une véhémence particulière et bien compréhensible, de sorte que, dans ce premier tiers du XIXe siècle, c’est Mme  de Staël (la plus insupportable des bas bleus) qui porte les culottes, avec son ennuyeux et dangereux bouquin sur l’Allemagne, cependant que l’illustre René pousse ses thrènes sur le mode féminin, et entraîne des foules d’admiratrices passionnées vers le miroir et les « ossements légers » de Mme  de Beaumont. J’avoue préférer aux corbillards empanachés, et aux incursions exotiques de Chateaubriand, sa manière rude et griffue du fameux morceau sur Bonaparte et les Bourbons. Le dépréciateur lyrique a, en lui, une autre verdeur et vigueur que le bon monsieur et que le voyageur. Psychologiquement, c’est un de ces rêveurs personnels, toujours moroses, toujours mécontents,