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L’ABERRATION ROMANTIQUE

s’est rarement produite dans le pays des fabliaux et des farces rabelaisiennes, est, pour une époque aussi fertile en cabotins du sublime et en faux géants, très caractéristique et regrettable. Le silence de l’esprit de raillerie et de fronde prouve l’universalité de l’esprit de jobarderie. Jamais pareil amas de bourdes philosophiques, morales et romanesques, ne rencontra, de la part de nos concitoyens, semblable, ni aussi déférente audition. Soit que les années tyranniques de la Terreur et Césariennes du premier Empire eussent obnubilé le sens du comique, par la crainte de Fouquier-Tinville, de Fouché et du petit homme surimaginatif de Waterloo et de Sainte-Hélène ; soit que la raison tourneboulée n’eût plus la force de réagir. Il y a un degré dans l’absurde où il n’est plus senti comme absurde. Rien n’est sérieux, en général, comme un préau de maison de fous.

Comment procède le romantisme ? Il démonétise le génie par l’ingéniosité, la force par la truculence, le pathétique par la contorsion. Ce triple travers est moins visible chez Chateaubriand qu’il ne le sera chez Hugo, parce que nous sommes encore à l’aurore du procédé. Mais il existe déjà et il est sensible dans le vieillissement précoce de ce prétendu sublime, qui émut si vivement nos pères et nos grands-pères. Je me rappelle le désappointement que me procura ma première lecture d’Atala, qui m’avait été représentée comme un chef-d’œuvre, et dont la redondante poncivité sauta au nez de mes quinze ans, et le trouble que j’éprouvai de ne