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STUPIDITÉ DE L’ESPRIT POLITIQUE.

l’imiter et de faire, de leur action, la sœur de leur rêve, révolutionnaire ou libéral. Mon père disait que les deux grands pôles de la pensée au XIXe avaient été Napoléon et Hamlet, le frénétique et l’aboulique, celui qui se décide et tranche tout le temps, et celui qui ne se décide jamais. Mais Alphonse Daudet disait cela en admirant tout Bonaparte. Alors que, de ses décisions, les militaires seules étaient admirables, et les autres d’une rare et tragique infirmité. On pourrait mettre sur sa tombe aux Invalides : il a gaspillé le patrimoine français. Un pareil conquérant est un fléau et pire assurément que la Terreur. Parce que la Terreur est un objet de répulsion historique, au lieu que beaucoup de personnes soupirent encore : « Ah ! Napoléon ! » Rien ne s’oublie plus vite que le déluge de sang, et la rapidité de l’oubli est proportionnelle aux dimensions de l’hécatombe ; pourquoi cela ? Parce que l’esprit humain chasse naturellement l’image du deuil et du charnier. On n’aurait pas imaginé le Jour des Morts, si l’on n’oubliait pas les morts presque tous les jours, surtout quand leur trépas fut collectif et violent.

Soûle d’assemblées et de clubs, de bavardage et de sang, et lasse de cette législation frénétique, vaine et contradictoire, qui est le fruit du régime des assemblées, la France se donna à la dictature napoléonienne, puis au plébiscite qui en découle, en deux crises de courte durée. L’hybridité même de la constitution impériale (semi-héréditaire, semi-plébiscitaire) la faisait osciller entre la révolution,