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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

à la plupart des historiens et, au plus romantique de tous, à Michelet. Ils les remplacent par des aspirations, ce qui n’est pas la même chose, ou par des prophéties, ce qui est ridicule. Le type de la vision historique d’ensemble est fourni par le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet, placé sur un promontoire intellectuel d’où l’on distingue les causes, leurs mouvements sinueux, leurs affluents, leurs embouchures, comme un tracé de fleuve lumineux. Cet ouvrage incomparable montre comment le sens précis du divin — tel que le développe le catholicisme — éclaire et renforce le diagnostic des déterminantes humaines. Il est une preuve vivante de la faiblesse et du vague de l’hérésie protestante, mère elle-même d’une critique rudimentaire et incertaine. Rapprochez du Discours sur l’histoire universelle la rêverie de Michelet, la platitude d’Henri Martin, ou l’honnête controverse des Thierry, et mesurez la hauteur de la faille, en ce domaine, du XVIIe au XIXe ! Elle est à peu près de même taille que celle de Molière à Augier ou Dumas fils et de Descartes à Ravaisson ou à Cousin.

C’est que l’esprit réformateur, ou rousseauiste, ou révolutionnaire (c’est tout un), présume lui-même cette erreur foncière — et meurtrière des idées générales — qui consiste à croire qu’on innove sans continuer. Tout novateur véritable est un continuateur. Nihil innovatur nisi quod traditum est. L’idée que l’humanité rompt la file et repart du pied gauche, à un moment donné, sur un point de la planète, est puérile. Nous retrouvons en elle l’infatuation.