Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
297
DOGMES ET MAROTTES SCIENTIFIQUES.

conception erronée. Leurs contours s’effacent plus promptement que celles des tableaux des maîtres. Regardez ce qu’est devenu le Déterminisme de Claude Bernard, à côté du bleu ou du rose de Fra Angelico, ou du jaune de Vermeer de Delft, ou du doré de Rembrandt, ou des fameux verts de Vélasquez. N’alléguez point que ces couleurs et cette doctrine ne sont point comparables entre elles ; car ces doctrines passagères ont la couleur du temps. Aux époques fortes, où abondent les talents originaux, vigoureux et sages, ce sont les hommes qui mènent les idées, lesquelles composent l’ambiance. Aux époques faibles, au contraire, c’est l’ambiance qui crée des principes vagues, lesquels, à un moment donné, s’incarnent dans un homme, dramaturge, poète, penseur ou savant, influençable, poreux et sans volonté. Hugo est le père du romantisme, mais il est le fils de l’aberration impériale napoléonienne, et il en a le cliquetis dans la tête. Claude Bernard est le fils du matérialisme ambiant, ce qui donne à ses plus célèbres expériences (le sucre du foie… la fièvre, etc.) un caractère de simplicité élégante, mais aussi de fragilité, tout spécial. Car ceux mêmes qui célèbrent officiellement son génie savent bien qu’il ne reste plus de son œuvre une seule affirmation qui soit entière ; et, ses ouvrages renommés et caducs n’étant plus retirés, il serait impossible de se les procurer en librairie. C’est que le fatalisme ambiant a disparu lui aussi, s’est retiré des concepts philosophiques, comme des considérations historiques, comme des