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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

qui distinguait farouchement la science de l’art, attribuant à la première la solidité inébranlable et la pérennité, avec le sérieux, faisant du second un amusement. L’art n’est pas un amusement, c’est une issue ; et nous venons de voir qu’il est infiniment plus stable et durable que les tâtonnements, d’ailleurs très souvent sympathiques, de la science, de toutes les sciences.

Le seul critique (et qui était aussi un savant et un poète) qui ait eu des aperçus justes et profonds sur les rapports de la science et de l’art avec la personnalité humaine au XIXe siècle, semble bien avoir été Goethe. Héritier du XVIIIe siècle, mais infiniment trop grand pour verser dans la honteuse encyclopédie (honteuse par excès de niaiserie), Gœthe ouvre les portes du XIXe siècle à deux battants, comme le plus impressionnant des spectacles, et son œuvre, du début à la fin, respire l’enthousiasme de l’espérance. Elle est sereinement instructive, comme le confluent de deux tendances, qui vont courir le monde : l’artistique, le scientifique. Avec cela, il est naturellement philosophe. Il va tout de suite à l’essentiel des problèmes posés, avec un enjouement solennel. Équilibre merveilleux des sens héréditaires, qui entraînent, et de la raison qui freine, du moi et du soi ! J’ai passé dix ans de ma vie laborieuse dans le contact de ces deux gaillards, Shakespeare et Gœthe, me reposant de l’un par l’autre et voyant, dans le second, ce qu’aurait pu être le XIXe siècle, s’il avait eu plus de tête. Puis, au milieu du XIXe siècle, nous eûmes notre Gœthe