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DOGMES ET MAROTTES SCIENTIFIQUES.

cauchemar, le ciel divin se décolorait, et l’heure et le lieu perdaient leur magie, ainsi que pour les malheureux enfermés, les déplorables victimes de leur temps absurde. Je m’arrachai à ma contemplation et retrouvai avec plaisir le Saint-Remy du poète Roumanille, tranquille et blotti dans sa lumière léonardienne, avec ses figues, ses olives, son pain crémeux et son vin clair.

On ne saurait croire à quelle profondeur a diffusé (par la presse quotidienne à un sou), vers la fin du XIXe siècle, la note fausse de l’hérédité tyrannique. Quelques mois avant la guerre, sortant de l’imprimerie de l’Action française, ma femme et moi, vers les minuit, par une belle soirée de printemps, nous rencontrâmes un maigre gamin, qui boitillait, chargé de journaux : « Tu vas vendre ça à cette heure-ci ? — Non, j’ai fini, je rentre chez nous. — Quel âge as-tu ? — Neuf ans. — As-tu mal à la jambe ? Tu boites. — Non, j’ai des grosseurs comme aux mains (il les montra, déformées en effet par des exostoses). Mon père était alcoolique. Alors vous comprenez… » Cet enfant de neuf ans, chétif, misérable, avait entendu parler des médecins et lu des articles sur l’hérédité alcoolique ! Je l’imaginais, dix ans plus tard, s’il vivait, en proie à l’obsession, à la folie, pseudo-héréditaire, à moins qu’il n’eût rencontré quelqu’un pour lui ouvrir l’espérance et le désabuser. Mais ce sont là de ces bonheurs qui n’arrivent guère que dans les contes de fées.

Le romancier anglais Thomas Hardy a peint.