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DOGMES ET MAROTTES SCIENTIFIQUES.

serviles, depuis une cinquantaine d’années. J’entends par pensées serviles celles qui acceptent, par les journaux, les livres, les conférences, les conversations, des principes directeurs qu’elles n’examinent pas et qu’elles sont incapables, ou peu capables, de critiquer, puis de surmonter.

Le philosophe allemand Nietzsche, qui mourut paralytique général, parle quelque part de ces « papillons fatigués », qui meurent de lassitude mentale, après s’être promenés de thèse en thèse, sans pouvoir rencontrer, une seule fois, la reposante certitude. De tels papillons, égarés ou morts sur place, les vitres des cinquante années dont je parle sont pleines, à travers lesquelles ne filtrait plus — de 1870 à 1914 — aucun soleil réchauffant. Ou alors, c’était, comme le bergsonisme, une lumière artificielle, plus triste que ce bas crépuscule. Amoindrissement et disparition progressifs d’une élite critique. Effondrement de l’esprit de Faculté et de l’Enseignement supérieur. Affaissement des Humanités, qui défendent l’imagination contre les innovations abrutissantes ou déréglées. Maboulisme des thèses scientifiques et philosophiques prédominantes. Doute non corrigé par le doute du doute. Telles étaient les origines de ce vertige, qui peupla et qui continue à peupler les asiles, établissements hydrothérapiques et sanatoria de toute catégorie.

Il y a quelques mois, combinant le plan du présent ouvrage, je me trouvais, par une admirable matinée d’automne, sur la route des Antiques, qui va de Saint-Rémy de Provence aux Baux. L’air