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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

tendant néanmoins au progrès et au bonheur. On disait : « C’est la forme moderne de la fatalité antique, mais tout cela finira très bien. » Il ne faut pas s’étonner, dans de telles conditions, de la proportion, croissante et formidable, des aliénés de toute sorte, telle que chaque jour on construisait de nouveaux asiles. Ce qui semble extraordinaire, c’est que l’aliénation, avec de telles doctrines en circulation, n’ait pas encore été plus répandue.

En effet, la pression psychosociale, sur les esprits mal défendus ou non défendus par une foi, ou une conviction profonde, est, avec la spirille syphilitique, une des grandes causes des diverses folies, cycliques ou non, actuellement classées. Le délire de la persécution s’alimente de la captivité héréditaire, marotte sombre de nombreux déments. Le délire des grandeurs s’alimente de l’Évolution et du progrès continu. Les psychiatres ont mis sur le compte de l’alcoolisme (lequel a bon dos), ou de la neurasthénie aiguë (terme vide de sens) une multitude de dérangements cérébraux, dont la cause véritable est dans l’ambiance intellectuelle et morale. Ces savants étriqués et ces observateurs de l’immédiat ne tiennent pas compte du vertige général, qui résulte (même chez les demi-ignorants et les primaires) de la contradiction de deux notions fortes et universellement répandues. Je prétends que l’illusion du poids de la chaîne héréditaire est à l’origine de la plupart des mélancolies, que cette illusion, jointe à celle du déterminisme, a jeté un voile sinistre sur l’immense multitude des pensées