Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
248
LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

d’abord, puis sur l’ensemble de leurs travaux. Ranvier, grand esprit à la fois distrait et modeste, en avait conçu une sorte de misanthropie. Je l’ai entendu un soir, dans ma jeunesse et sa vieillesse, chez Charcot, marquer, en quelques traits durs et sûrs, à propos précisément de l’Évolution, son scepticisme total. Rangés autour de lui, dans une attitude déférente, des professeurs de Faculté, ses collègues, semblaient l’écouter avec stupeur. Il comparait le dogme, alors universellement vénéré, à une mode, comme la crinoline, mais qui tourneboulait les esprits.

Je pense, à propos de l’Évolution et du Progrès, l’un portant l’autre, comme l’aveugle et le paralytique, que le XIXe siècle pourrait être appelé aussi le siècle du perroquet. Jamais, au cours des temps modernes, le psittacisme ne s’est donné plus librement carrière que de la Révolution à nos jours. Chateaubriand parle quelque part, des cacatoès hypercentenaires de l’Amérique du Sud, qui ont encore, dans le bec, des mots de la langue perdue des Incas. Peut-être, dans l’avenir, entendra-t-on des oiseaux verts et bleus crier sur les cimes des arbres, sans y attacher d’importance, ces termes vides de sens : « … Droits de l’homme… Dnrroidlom… E…vlution… Prrrogrès… Prrogrrrès… » Des savants discuteront en keksekça là dessus, sans se douter que ces flatus vocis auront perturbé des cervelles humaines par centaines de milliers, empli des bibliothèques devenues poussière, et ajouté quelques nouveaux motifs à la rage