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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

verbeux crétins. Sans doute, l’industrie est nécessité, mais ce n’est pas une nécessité aimable ; et le servage mental et corporel, auquel elle astreint l’homme et la femme, dans la société actuelle, est le tragique problème des temps modernes. Je ne pense point que ce tragique soit compensé par le téléphone, le phonographe, le cinéma, ni même la télégraphie sans fil.

Habitant pendant les vacances, une des plus nobles régions de la noble Touraine, près d’une petite ville où l’industrie s’installe, j’ai maintes fois, au cours de mes promenades, médité sur le contraste saisissant des laboureurs et des vignerons, dans leurs champs dorés et rouges, à l’aube heureuse, et des ouvriers allant tristement rejoindre leurs sombres et sinistres bâtisses. Le paysan tourangeau, vivant en famille, boit son vin clair et pétillant, trempe le miot et raconte en excellent style (venu de Rabelais et de plus loin) des histoires salées et poivrées. L’ouvrier d’usine tourangelle, sans tradition comme sans syntaxe, boit un alcool de feu falsifié, vit loin des siens et rage contre une société dans laquelle il ne voit (et qui ne l’en excuserait ?) qu’une marâtre. Le disparate de ces destinées, appuyées, l’une sur la tradition, l’autre sur le prétendu progrès, donne tristement à réfléchir. De même, il est comique de songer que les colonisateurs prétendent apporter le progrès à des populations raffinées, comme celles de l’Indo-Chine par exemple, où les usages de politesse sont infiniment supérieurs à ceux de l’Occident, où tant de très