Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
241
DOGMES ET MAROTTES SCIENTIFIQUES.

la fameuse chaîne à rebrousse mailles et de considérer le ver de terre comme la suprême dégradation de l’homme, descendu lentement, et sans saltus, à travers les oiseaux, les insectes et les mollusques, et ayant perdu ses jambes, ses pieds, ses bras, ses mains, ainsi que la différenciation de sa boîte crânienne, dans la lutte pour la vie, struggle for life, à l’envers. Cette hypothèse n° 2 n’est pas plus invraisemblable ni débile que la n° 1, sur laquelle elle a l’avantage de la logique. Il est plus aisé, en effet, d’imaginer une perte d’organes en série et un affaiblissement consécutif des fonctions qu’un augment continu d’organes, avec une complexité croissante de fonctions. La création en plus de quelque chose, à chaque passage, est plus difficile à supposer que la perte de quelque chose à chaque degré correspondant.

Le grand principe de la lutte pour la vie lui-même (admis sans contestation au Stupide, ou avec des contestations si sottes et inopérantes qu’il en sortit renforcé) demanderait à être examiné de près. Darwin avait l’imagination solide, assez courte et dramatique. Le monde lui apparaissait sous les espèces du conflit et de la concurrence. Mais il y a aussi les associations, les accords, l’inertie et le renoncement à toute lutte, par la soumission et la fuite, qui d’après la thèse, feraient de la sélection à rebours. Ce côté de la question fut masqué par le fameux « struggle ». Des animaux très faibles ont survécu à des animaux très forts, soit que ceux-ci aient abusé de leurs forces pour courir trop de