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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

forces pour proférer quelques principes absurdes et meurtriers. Il a imaginé une dévotion à la Science, qui ne peut aboutir qu’à un véritable suicide du bipède raisonnant, sur toute l’étendue de la planète. C’est ce que je vais essayer de démontrer. Avant la guerre européenne, on eût jugé une telle démonstration impossible, sa simple tentative sacrilège. Aujourd’hui on y apportera, je pense, quelque attention, car le pathemata mathemata demeure toujours vrai et la souffrance dans la chair porte, tant qu’elle n’est pas accablante, de la lumière dans l’esprit.

Tout d’abord l’atmosphère révolutionnaire et libérale, dans laquelle était plongé le XIXe chez nous notamment, amena à considérer, d’emblée, la Science, les sciences encore balbutiantes, ainsi qu’une émancipation hors de la foi traditionnelle, puis de la morale. Cette incroyable confusion est à l’origine de bien des maux. Elle a donné naissance, entre autres, à la légende du saint laïque, séparé de Dieu, enfermé dans son laboratoire et travaillant là au soulagement de l’humanité. Il n’y a pas de saint laïque. Il n’y a pas de saint sans cette mystique, dont l’exaltation scientifique, même profonde, même absolue, n’est que la parodie et la caricature. J’ai connu quelques cas d’exaltation scientifique : ils étaient accompagnés d’une insensibilité absolue, d’une anesthésie morale complète. Ceux qui s’abandonnaient à cette fièvre considéraient l’univers comme un écoulement de phénomènes, leur prochain comme un animal d’expé-