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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

Ses flèches peuvent écarter de grand maux, nés souvent de l’incompréhension et de la laideur, plus souvent encore de l’excessif. Elles dissipent enfin la confusion, qui naît du heurt des concepts et des systèmes, et crée une sorte de nuit mentale, où les orgueilleux de l’esprit se bousculent et se meurtrissent à tâtons.

Or l’esprit est presque entièrement absent du XIXe siècle français. Il est parti avec la Révolution ; il a été en exil avec Rivarol et il n’est revenu que timidement, au cours des cent et quelques années qui nous occupent, chassé par les penseurs de néant, les verbeux tribuns et les mornes salonnards. Sans doute il y eut, pendant le second Empire et quelques années de la troisième république, les boulevardiers. J’en ai connu personnellement quelques types attardés, un Aurélien Scholl, un Albert Wolff. On ne saurait comparer leurs boutades aux fortes issues railleuses, satiriques, mêlées de miel et d’amer, du XVIe, du XVIIe, du XVIIIe, des moralistes et des auteurs comiques. Dieu sait pourtant si la matière à moquerie était ample, riche, surabondante, capable de nourrir la verve de cent Aristophane et d’autant de Molière, capable d’exciter et d’alimenter aussi ces grands hommes inconnus, ces démolisseurs obscurs, qui résument une vérité vengeresse dans une phrase courte, une remarque vive, un dicton, un proverbe, un trait quelquefois immortel. Il semble que ceux-ci aient été désemparés et presque refoulés par le rythme des tragédies sanglantes (émeutes et guerres) qui se déroulèrent pen-