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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

poussière de poussière. Rien de plus comique que l’affirmation romantico-salonnarde, d’après laquelle l’instinct de la foule serait en général bon et sage. L’instinct de la foule est aberrant, suspendu à ses réflexes, sujet à retournements brusques, inférieur à celui du plus humble animal isolé. Ce qu’elle ressent le plus vivement, c’est la peur, et c’est alors qu’elle l’éprouve le plus soudainement qu’elle est aussi la plus dangereuse pour elle-même et pour les autres.

Le salonnard, au XIXe siècle, ne créé pas les bourdes, mais il les transmet. Il est plus nocif que le parvenu, parce qu’il est frotté de connaissances, qui ne sont pas toujours superficielles, et parce que sa situation sociale lui confère une autorité et un rayonnement. Quand il s’est fait recevoir, par-dessus le marché, à l’Académie (on connaît la définition fameuse : l’Académie est un salon), alors le désastre est complet. S’il écrit à la Revue des Deux Mondes, c’est déjà grave. L’opinion absurde, que professe sur tel ou tel problème politique ou social, dans son coin, un instituteur primaire n’a relativement que peu d’importance. Mais une ânerie longuement exposée, dans un recueil ancien et estimé, par un âne aux sabots dorés, et couvert des reliques de la bonne éducation et de l’instruction supérieure, conquiert aussitôt audience et séance chez les badauds dont nous avons parlé. Elle devient, par là même, difficile à extirper et elle pousse des prolongements dans les divers milieux sociaux. La propagande révolutionnaire des ouvriers est quelque chose d’insigni-