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AFFAISSEMENT DE LA FAMILLE ET DES MŒURS.

notamment la foule irritée, quel que soit le motif de son irritation, et la foule enthousiaste, quelque soit le motif de son enthousiasme. Pour la foule comme pour l’homme de génie, après la période de latrie, est venue celle de critique et d’analyse et on a décrit surabondamment la psychologie et la pathologie des foules. En fait, la foule n’a que des instincts, de simples réflexes, dont certains hommes habiles, et d’ailleurs sans génie, savent jouer. Je me suis trouvé personnellement en contact avec des foules animées de sentiments très différents à mon égard (ce qui est le cas de tous les hommes politiques). Mais, sympathiques ou antipathiques, elle ne m’ont jamais inspiré un sentiment qui ressemblât, de près ou de loin, à du respect. Exception faite pour les foules religieuses, à Lourdes ou ailleurs, — foules miraculées, d’un caractère spécial, unique, et qui ne rentrent point dans les catégories dont je m’occupe présentement, — ce qui caractérise la foule politique, c’est son flottement. Elle ne sait plus, au bout de quelques minutes, ni ce qu’elle veut, ni où elle va ; et les meneurs, qui l’ont mise en mouvement, sont, à partir de là, totalement incapables de la diriger. Je ne parle que de la foule française, ignorant celle des autres pays.

Je ne pense pas qu’un homme, quel qu’il soit, si habile et pourvu de poumons d’airain qu’on le suppose, puisse jamais s’imposer à la foule de façon durable, je veux dire au delà de quelques minutes. C’est pourquoi, quiconque bâtit sur la foule (de la rue ou votante, du suffrage universel) bâtit sur une