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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

sifs au cours du siècle précédent, ce fut ou par inattention momentanée, ou parce que ces écrivains avaient forcé la porte du succès. Mais ses véritables préférences vont aux proses molles et défibrées, insipides, qui n’ont de nom dans aucune langue (ni notamment, dans la langue française), à un Octave Feuillet, à un Cherbuliez, à un Marcel Prévost par exemple, à la poésie artificielle et mécanique d’un Hérédia, d’un Henri de Régnier, au sinistre néant d’un Aicard. Elle veut bien de la fausse fantaisie d’un Rostand, parce qu’elle est antifantaisiste et telle que d’un acrobate aux pieds de plomb. Elle ne veut pas de celle de Théodore de Banville, dont Rostand, avec ses douze cent mille représentations et exemplaires, ne fut que le plat et fade imitateur. Elle veut bien des exposés glaciaires (et au fond profondément ridicules), en cosmogonie, en philosophie et en histoire, d’un Leconte de Lisle, et de sa frigide et sotte conception de l’antiquité. Elle ne veut pas de la pénétrante poésie d’un Baudelaire, ni d’un Verlaine, parce que l’un et l’autre ont le divin secret de cette intensité qu’elle hait. Hérédia, c’est le beau conventionnel, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus hideux. Leconte de Lisle c’est le sage, solennel et conventionnel, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus fol. Rostand, c’est l’éblouissant conventionnel, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus morne et de plus terne. À eux le dignus intrare. On devine avec quels transports de satisfaction l’Académie française, au XIXe siècle, eût rejeté Villon, Ronsard, Rabelais et Montaigne !