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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

l’ombre était grise et que le soleil consistait dans une bande jaune. Au XIXe, la vision du vulgaire, qui est crépusculaire et déjà cadavérique, s’était imposée aux amateurs par les Académies. Car le genre académique, pour toutes les Muses, c’est la nuit et la mort. Tout ce qui est vivant et lumineux répugne à ces conservateurs de règles fausses.

Le type de ces derniers était, à mes yeux, un très brave homme, très « Institut », du nom de Gérôme, dont j’eus, pendant plusieurs années, l’œuvre maîtresse, une navrante « Tanagra », sous les yeux, dans le salon d’une vieille amie. Cette Tanagra était une jeune personne assise, censée nue, dans le saindoux onctueux de ses propres formes, n’appartenant à aucune catégorie du corps féminin. On n’imagine rien de plus affreux que ce prétendu Beau selon l’École. Le fait d’avoir produit un tel navet, et de s’en glorifier, indiquait que le bon Gérôme avait ignoré toute sa vie le premier mot non seulement de son art, mais de la nature, laquelle est, pour tant de gens, un délice éternellement caché. Les Gérôme ont peuplé le XIXe siècle, où ils ont fait la loi académique, massacré de leurs dons, de leurs élèves, de leurs œuvres, de leurs lauréats, les rues et musées de Paris et de Province. Mais le plus drôle était encore d’avoir baptisé ce sac de bonbons, immangeables et roses, « Tanagra » !

Avec la vision sans lumière va généralement d’accord la vision empaillée. Ceux qui ne voient pas le soleil ne voient pas davantage le mouvement. Ils le voient à la façon des acteurs du Conservatoire (ce