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AVANT-PROPOS EN MANIÈRE D’iNTRODUCTION.

hagardes, improvisées et échevelées, délaient en douze mille vers, de moins en moins sincères, leurs souvenirs d’enfance et l’éveil de leur puberté, où des prosateurs, d’ailleurs bien doués, racontent, en cinquante tomes, leurs navigations et escales en divers pays, jointes à la crainte qu’ils ont de la mort. Ah ! cette mort, comme on la redoute, dans le clan des laïcs et des sceptiques, des belliqueux négateurs de l’éternité et de son Juge ! Comme elle préoccupe et embringue tous ceux qui devraient pourtant se moquer d’elle, puisqu’elle est, à leurs yeux, néant, et que le néant abolit la souffrance, ainsi que tout souvenir de l’être, ainsi que toute préoccupation !… « Hélas ! je mourrai, je disparaîtrai, il ne restera plus rien de mon beau corps ni de mon esprit si subtil, ni de ma sagesse, ni de mes bondissements, ni de ma folie, ni de mon lyrisme, ni de ma gloire, ni de mes lauriers ! — Hélas ! non, d’après vos doctrines mêmes, rien ne restera, monsieur, madame. — N’est-ce pas une chose épouvantable ? — Mon Dieu non, c’est chose ordinaire et courante en matérialisme, et dont il faut, dès la naissance, prendre votre parti. » Comparez à cette pusillanimité devant l’inéluctable, à cette chair de poule, à ces frémissements, l’impavidité des gens du XVIe du XVIIe, même du XVIIIe siècle, où aristocrates et bourgeois regardèrent avec des yeux calmes la guillotine et haussèrent les épaules devant leurs bourreaux. Cette charrette d’enfants, hurleurs et échevelés, qui parcourt les avenues du romantisme français, en ameutant et terrifiant les