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AFFAISSEMENT DE LA FAMILLE ET DES MŒURS.

rations politiques, généralement officieuses, mais aberrantes, de cette feuille universellement répandue, paraissaient à Émile destinées à excuser les forfaits étalés aux colonnes de la première page. Il secouait la tête : « C’est enco pou nous faire avaler leu salopelies. »

Un jour qu’Émile transportait, sur une petite charrette, un tonneau plein, celui-ci glissa et lui râpa les fesses : « Mon pau délié » criait Émile, pendant que je le pansais sommairement, d’après les principes désuets de mon vieux maître Tillaux, chirurgien de l’Hôtel-Dieu aux environs de 1885. Quand ce fut fini : « Msieu Léon, j’ai-t-il pas maintenant droit, comme un autre, au poltrait d’mon délié dans le Petit Parisien ? »

Je n’en finirais pas de citer ici les propos excellents et mesurés d’Émile, infiniment supérieurs à toutes les malices pédantes de son voisin de Véretz Paul-Louis Courier, qu’une dame respubliquaine, se croyant cultivée, me vantait sous le nom de Jean-Paul Courier, en souvenir sans doute de Jean-Paul Chopart. Mais je veux citer ici la phrase qui, selon moi, fait la somme des méditations et aphorismes de ce sage Émile selon le cœur d’Horace, toujours parfumé au vin blanc et à l’oignon, du tour des oreilles au creux des mains. Nous nous entretenions devant sa petite boîte, ou maison, qui donne sur le sublime paysage de la Loire, au jour tombant. J’étais debout, et lui, courbé, coupait à la hachette de petites bûches moussues. Il s’interrompit, regarda la nature resplendissante et mur-