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AFFAISSEMENT DE LA FAMILLE ET DES MŒURS.

amis de l’ordre, respectueux du désordre que délèguent à la Chambre et au Sénat, les temps troublés. Homme d’extérieur, outrecuidant, gonflé d’axiomes absurdes, il ébaubit les hommes rangés de l’Ordre Moral, par une hypocrisie qui n’est pas la leur, par un histrionisme de carrefour, où ils découvrent des réminiscences classiques. Mon père me racontait qu’un riche propriétaire et député du Midi, froid et composé comme on l’est souvent en ces régions prétendues frénétiques, lui disait de Gambetta, avec gourmandise : « C’est un personnage mêlé de Plaute et de Pétrone. » Ce Cadurcien de sang génois aimait les filles, les gouapes, les discussions byzantines et les intrigues compliquées. Il cultivait aussi la petite fleur bleue mais défraîchie, et oscillait de la catin espionne Païva à la « présidente » Léonie Léon, qu’on appelait, en souvenir des Liaisons dangereuses, une Tourvel pour corps législatif. En lui, un sentiment sincère : la haine de l’obstacle intérieur qu’est le catholicisme à tous débordements ; la haine et la crainte du frein religieux. Gambetta dérivait de Diderot, non de Voltaire, avec un pouvoir inné de fascination grossière.

Son succès, qui fut immense et funeste, accuse la déchéance intellectuelle et morale d’une époque, où se ramassent et se concentrent pour un nouvel effort de virulence, toutes les insanités roulant en torrent depuis 1789. Succès reposant sur un mensonge, car on sait aujourd’hui que Gambetta, qui jouait les patriotes meurtris et irréductibles, s’en-