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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

passions, destructrices du bonheur ici-bas. Que de fois, au cours de mes études médicales, puis, plus tard, dans l’usage du monde et les fréquentations, n’ai-je pas entendu cette phrase désolée : « Je n’ai plus la force de réagir ! » Morphinomanes, grands vicieux, amoureux frénétiques, alcooliques de toutes formes et de toutes couleurs, avaient perdu la confiance dans leur relèvement, au contact de la fausse philosophie de leur jeunesse, qui leur revenait par lambeaux, pour aggraver leur marasme.

Le conditionnement imposé de l’esprit (suivi bientôt du mortel compartimentage de la faculté créatrice, mère de toutes les découvertes) c’est la perte de la notion métaphysique du miracle, c’est l’état dans lequel l’âme se nie, puisque son essence est miraculeuse. Le malade « condamné » (qui ne pense pas qu’il puisse guérir par un acte de foi dans sa guérison) est l’image assez exacte du français déphilosophé, devenu amétaphysique, de la fin du XIXe siècle, docile à la doctrine parésique, reçue de Kant, d’Herbert Spencer, de Claude Bernard, de Charcot. Car, vers la fin de cette époque étrange et morne, la philosophie n’apparaissait plus que comme une phosphorescence de la science biologique, et médicale, dont on méconnaissait la caducité.

L’abdication de l’esprit devant la matière, tel est l’étrange renversement que les deux générations de nos grands-pères et de nos pères avaient préparé, auquel nous avons assisté, participé pendant notre jeunesse, contre lequel nous avons violemment réagi ensuite. Des signes nombreux attestent aujour-