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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

avis, une maladie de la philosophie comme le phylloxéra est une maladie de la vigne ; il rend la métaphysique active impossible, en créant une métaphysique passive et dissertante quant à sa condition première : l’identification de l’esprit et de l’objet. Il brouille la clé dans la serrure, de telle façon que le temps se passe à ne pouvoir ouvrir la porte de la chambre métaphysique de l’esprit. Car, si nous ne pouvons connaître que subjectivement, en raison de nos catégories intérieures, si l’objet « en soi » doit toujours demeurer inconnu de nous, il est parfaitement vain d’aller plus loin. L’exploration d’une conscience, la nôtre, au sein d’une nuit profonde, et que nous ne pouvons jamais éclairer, en ce monde, devient un exercice singulièrement illusoire, décevant et attristant. Il ne faut pas s’étonner que Kant ait engendré les pessimistes, ces « papillons fatigués » dont parle Nietzsche, las de se heurter à des plafonds pris pour des planchers, à des planchers pris pour des plafonds et à des vitres prises pour le plein air. La mise en discussion du principe même de la connaissance (qui est l’accord parfait entre elle et l’univers), a bouché la connaissance pour cent cinquante ans et peut-être davantage. Car nous voyons qu’un Bergson ou un William James (bien que ratiocinant à des pôles opposés) n’osent point s’affranchir du criticisme kantien, en le traitant comme une lésion de l’esprit méditatif. S’il leur arrive de le combattre, il ne leur arrive pas de le négliger, et ils usent leur temps et leur réflexion à discuter avec celui qui a embrouillé la