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LE STUPIDE XIXe SIÉCLE.

Axiome : on ne remplace point la métaphysique par la crainte, diffuse et permanente, de la mort. La métaphysique invite au labeur et à la méditation. La crainte de la mort est stérilisante.

Je vous disais ici que j’ai expérimenté personnellement, au cours d’une existence déjà longue, le bienfait de l’état métaphysique, qu’il ne faut pas confondre avec la rêverie (parce qu’il prolonge l’intelligible) et qui donne des plaisirs supérieurs à ceux de la rêverie. La classe de philosophie, où je suis entré à l’âge de dix-sept ans, avec un fébrile appétit de connaissances, m’a laissé un éblouissant souvenir, à cause de ma première prise de contact avec la métaphysique d’Aristote et ses ouvertures sur l’infini du monde intérieur. Comme à un personnage des Mille et une Nuits, d’immenses richesses me sont apparues. Qu’il me fût permis de m’approcher d’elles et de les contempler, cela suffisait à mon bonheur. Ensuite vint le kantisme, qui troubla ma ferveur métaphysique première par la discussion des procédés et des catégories de la connaissance. Mais l’impression du début subsista, grandit, et il m’arrive encore aujourd’hui, devant la mer, le fleuve, la forêt, ou dans une discussion d’assemblée, ou de conseil, d’entrer en transe métaphysique et de chercher à distinguer les traits de l’Être, à travers les êtres, dans la lumière de la Raison. C’est une autre forme des exercices spirituels recommandés par Saint Ignace. Les théologiens parlent fréquemment de la joie mystique. Il existe aussi une joie métaphysique.