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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

divin, écrase, de son dédain justifié, le gentdelettres, qui ne vit que de potins, de querelles de boutiques, de rogatons intellectuels, ou de ressassements de quelques préjugés de coterie. Flaubert, je le répète, est, dans tous les sens, un homme de Lilliput, un génie à l’usage du vulgaire. L’autre Normand appartient à la race des géants, des initiateurs, dont le regard domine et outrepasse la foule des ânonneurs d’opinions toutes faites et des adorateurs de faux chefs-d’œuvre.

Barbey d’Aurevilly, que tant de critiques (si l’on peut donner ce titre à la tourbe des abstracteurs de néant qui encombre — Sainte-Beuve et Lemaître exceptés — les avenues du XIXe siècle) ont assimilé, malgré lui, au romantisme, n’a de celui-ci que les dehors byroniens. La principale caractéristique littéraire du romantisme, nous l’avons vu, c’est la pauvreté de la conception, sous le déluge et l’inflation des mots. Des squelettes baroques, dans des pourpoints, y mènent la danse macabre d’Holbein, sans susciter l’émotion ni le rêve ; Barbey d’Aurevilly, qui est un lyrique, alternativement concentré et débridé, et chez qui la vigueur de la conception, adéquate à la magnificence du verbe, pousse et exalte ce verbe à mesure, dans une émulation digne du XVIe siècle, Barbey d’Aurevilly s’attaque aux sujets forts, durables, éternels. Il sculpte, avec emportement, le granit, et taille, avec amour, le bronze. Il s’attache aux tempéraments violents, aux cœurs indomptables, aux âmes de tempête, aux esprits d’orgueil. Mais il les peint en théo-