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L’ABERRATION ROMANTIQUE

travail pénible de marqueterie, la syntaxe essoufflée et l’ironisme court de l’auteur de l’Éducation sentimentale, de Salammbô et de la Tentation de Saint Antoine. L’image de la nature et de l’homme, des rapports de la nature et de l’homme, qui au fond de l’œuvre, tant célébrée de Flaubert, est une image dégradée et pauvre, qui bafoue l’esprit de hardiesse et de sacrifice. Elle ne laisse debout que la pitié, et encore amoindrie et rapetissée au cloisonnement des cœurs défaillants, pour lesquels elle est une excuse. Cette image, quand une supériorité quelconque l’effleure, n’a que la ressource de se moquer et de ricaner. L’image qui anime Barbey d’Aurevilly, en tous ses écrits, c’est la foi dans le sens de la destinée humaine, c’est le scepticisme quant au scepticisme (qui est le grand doute des âmes trempées), c’est l’acceptation calme de la complexité, parfois tragique, souvent neutre, de la vie et de la crise suprême, et souvent bienfaisante, de la mort. Flaubert abat et décourage, après la courte excitation de son « gueuloir ». Barbey d’Aurevilly relève, entraîne, regaillardit. Flaubert respire artificiellement, dans une atmosphère comprimée, pharmaceutique, factice, étouffante. Barbey d’Aurevilly respire largement, à pleins poumons, sur son promontoire, devant la lande, la forêt et la mer. Flaubert est le type même du « gentdelettres », cette fabrication des époques pauvres, où la création devient application, où l’élan tombe à l’ornement, où l’effet est cherché aux dépens du naturel. Barbey, grand lettré, et jusqu’au point où l’humanisme étreint le