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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

à Villon un ou deux mots. Villon reste, à travers les âges, le maître de la simplicité pathétique. Il y a de l’apprêt chez Verlaine, même parmi ses alertes remords.

Quant à Moréas, poète divin, quintessence de Lamartine et dont les Stances égalent Ronsard, il a traversé son temps ingrat et rebelle, fermé et hostile à la grandeur vraie, au milieu d’une incompréhension complète, hermétique. En vain Maurras, Barrès et quelques autres de ses amis, moins connus, s’évertuaient-ils contre cette incroyable injustice, une des plus fortes de l’histoire littéraire. Les meilleurs ne leur prêtaient qu’une oreille distraite. L’école mécanique triomphait avec Hérédia et ses imitateurs d’une part, de l’autre avec les déformations symboliques de Mallarmé et des Parnassiens posthumes. Un grand humaniste inspiré, tel que Moréas, soumettant l’eau, le feu, l’esprit, la rivière, l’histoire et la légende, à la nostalgie rythmique d’un cœur hautain, mais pitoyable, ne pouvait plus parvenir à la gloire. Les badauds et l’absurde demi-élite s’entendaient pour lui barrer le chemin. L’amer et orgueilleux breuvage de la méconnaissance lui fut ainsi versé à pleines coupes, suprême libation d’un siècle détaché du lyrisme naturel, uniquement attentif aux rhéteurs, aux hurleurs et aux échevelés des deux sexes.

J’ai devant moi, en écrivant ceci, la reproduction par le maître éditeur Lafuma, chef-d’œuvre de bibliophilie, du manuscrit des Disjecta membra de Barbey d’Aurevilly. La reproduction exacte, dis-je,