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L’ABERRATION ROMANTIQUE

C’est le coup de vent du seizième, sur les chemins du Vendômois. Puis, au bout d’une dizaine de vers, le sentiment de sa triste condition le ressaisit, retombe, semble-t-il, sur le cœur, dénudé en effet, de Baudelaire, comme une goutte de fiel brûlant, et dissout le bref enthousiasme. Ainsi en prend aux Muses désorbitées par le cruel vieillard à la faux !

Mon père avait entrevu Baudelaire, et me disait de lui qu’il lui faisait l’effet d’un prince atrabilaire et bizarre, parmi des goujats. Il s’était présenté à lui par sa grimace, qui était factice et puérile, non par son goût, qui était direct et sublime.

Pour Verlaine, histoire analogue, à un degré inférieur s’entend. Verlaine était un aristo du sentiment, dans un physique de Silène du ruisseau, et ce ruisseau bordait, en effet, cet aristocrate. Schwob le vit mourant, dans un hôtel meublé proche du Panthéon, un exemplaire de Racine sur sa table de nuit, auprès d’un litre de marchand de vin. Il mourut comme il avait vécu, ayant à sa droite le génie, et à sa gauche la vilenie, partagé entre la dégradation et l’enthousiasme. Ce génie étant sans cesse allé s’épurant, des Fêtes galantes à Sagesse, du décor de la vie vers son essence intime, comme si ce mysticisme, vers la fin quasi angélique, s’était frayé un chemin à travers la sensualité la plus triviale. Néanmoins Verlaine est fort loin d’atteindre à Villon, à qui on l’a injustement comparé, et qui demeure, depuis bientôt cinq siècles, le plus intense et le plus inimitable des poètes français. Où il faut, à d’autres, une pièce entière pour émouvoir, il faut