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L’ABERRATION ROMANTIQUE

l’auteur en même temps que son plan général, ainsi que des repères émotifs et des stimulants.

Or, s’il est vrai que, de 1790 à 1914, une immense quantité de travaux littéraires aient vu le jour en France, dont quelques-uns ont bénéficié d’une diffusion et d’un enthousiasme parfois presque unanimes, il est bien vrai aussi qu’un très petit nombre d’entre eux ont participé aux deux conditions ci-dessus, qui assurent l’immortalité vraie. Que reste-t-il, par exemple, du Génie du Christianisme de Chateaubriand ; de Hernani, de William Shakespeare, de Hugo ; de l’Allemagne de Mme  de Staël ? Que reste-t-il de l’Avenir de la Science de Renan ? Que reste-t-il historiquement des « histoires » de Michelet ? Rien, ou bien peu de chose. La conception était ambitieuse ; mais elle manquait de cet à-pic, de cette énergie déflagrante, de cette atmosphère miraculeuse, qui emporta Dante, quand il conçut la Divine Comédie. Le style manquait de cette expressivité qui prouve et témoigne que la sensation, le sentiment, ou la pensée ont saisi, arraché le mot unique, ou le tour de phrase unique, entre la grappe des synonymes. Il y a les œuvres exaltantes, transportantes, inattendues, qui semblent imposées à une époque par un décret spécial de la Providence et qui bouleversent le conventionnel et le prévu. Il y a les œuvres volontaires, appliquées, patientes, quelquefois méritoires ; qui n’ont rien de nécessaire, ni d’exceptionnel. Il y a enfin la poussière d’œuvres, qu’emporte le vent de l’indifférence, ou d’une renommée sans discernement.