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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

C’est que, pour imaginer largement et logiquement, il importe d’avoir observé vigoureusement et précisément ; de même que l’appui de nombreuses et justes images est indispensable à l’exercice d’une bonne et sagace observation. L’homme regarde l’homme, et ce qui l’entoure, avec sa faculté créatrice, autant et plus qu’avec ses yeux. Le champ visuel, c’est tout le cerveau.

J’ai expliqué, dans l’Hérédo et le Monde des Images, que ce qui faisait le chef-d’œuvre, c’était d’abord la puissance, l’universalité originelle de la conception, prose ou vers, et ensuite la personnalité du style. Il y a, entre la première et la seconde, un lien mystérieux qui permet à l’auteur en transe d’embrasser, en quelque sorte, d’un seul regard l’ensemble et certains détails, comme le spectateur d’un orage nocturne voit le coteau d’en face s’éclairer tout à coup, avec ici un arbre, là un ruisselet, plus loin une chaumière. Cette soudaineté initiale, quasi explosive, qui offre plus d’une analogie avec la fécondation sexuelle, assure l’unité du roman, de l’ouvrage de critique, du drame ou du poème. L’art consiste à ordonner ensuite cette espèce de coup de foudre mental, ou, comme dirait Bourget, cette psychoclasie. Il s’agit, en effet, d’une sorte de fissure intérieure subite, par laquelle l’âme aperçoit tout un système, toute une gravitation d’idées ou de personnages, colorés par des aspects imprévus. On sait avec quelle fréquence certains termes ou mots reviennent au cours d’un tel ouvrage. Ce sont ceux qui apparurent à l’esprit de