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L’ABERRATION ROMANTIQUE

Le retentissement énorme et scandaleux du romantisme, et du naturalisme qui prit sa suite, a eu comme résultat le rassemblement d’un public de badauds (celui même des journaux à grand tirage) et d’une incompétence totale. Le suffrage de la foule, soumis à toutes les formes de publicité, a remplacé celui des connaisseurs, un peu de la même façon que le chemin de fer a remplacé la diligence, puis, l’automobile le fiacre de notre jeunesse. La foule, livrée à elle-même, va naturellement à l’erreur et à la laideur, comme à une moyenne plus répandue et plus accessible que la vérité et que la beauté. Par essence, elle est la fabricatrice de fausses gloires, qu’elle brise d’ailleurs, en quelques années, mois ou jours, comme l’enfant brise le jouet dont il est vite las. En réaction de ces « idola Fori » se sont formés, ici et là, des îlots récalcitrants, des cénacles littéraires (Parnassiens, symbolistes, etc.) dont le sort a été divers, selon les personnalités qui les dominaient, mais confondant le bizarre, l’abscons et quelquefois l’incohérent, avec le rare, le profond et l’exquis. L’enveloppement d’un style obscur, voire ténébreux et compliqué, n’est excusable que si, au centre de la papillote, vous trouvez quelque chose de mangeable. Qui donc reprocherait ses ellipses au rarissime et subtil Mallarmé, non plus que ses charmantes énigmes de couleur ? Il est bien permis de jouer avec les sonorités des mots, avec leurs double et triple sens ; et il n’est pas toujours exact que ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Le moment où une réflexion glisse du parti-