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L’ABERRATION ROMANTIQUE

Leconte de Lisle), une certaine appétence bizarre de la trivialité et de la laideur. Ce renversement de l’esthétique était lui-même, à mon avis, une conséquence du matérialisme épais qui serpente, le long du XIXe siècle, parallèlement au fade et écœurant « idéalisme » de Cousin et de son école.

Les Lettres de mon moulin, l’Arlésienne, Sapho, même l’Immortel, le grisant Trésor d’Arlatan, voilà le Daudet félibréen, qui a trouvé l’harmonieuse conjonction de l’oïl et de l’oc, dans l’impression comme dans l’expression, et qui regrettait de ne pouvoir, tel Montaigne, entrelarder son style de latin. Dans la prose, comme dans la poésie, la lumière compte, élément impalpable, mais essentiel, et sans lequel l’œuvre la plus laborieuse et la mieux réussie n’augmente point en nous le tonus vital. Il ne s’agit pas seulement, quand nous ouvrons l’auteur préféré, de nous distraire de la vie courante et de nous émouvoir par la fiction et le rêve ; nous désirons encore respirer mieux et plus largement, sentir couler dans nos veines un sang plus vif et plus chaud. Cherchez (parmi les plus célèbres) les auteurs d’oïl du siècle des lumières, qui vous donnent une telle sensation. Puis passez aux autres, à Daudet, à Arène, gens d’oc en français, à Mistral, à Aubanel, à Roumanille, gens d’oc en provençal, et vous m’en donnerez des nouvelles ! Celui qui n’a pas capté le soleil ne captera pas définitivement les intelligences, car l’intelligence joyeuse de l’homme (très distincte de l’intelligence morose, qui n’est pas la véritable Raison) est une