Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

des contempteurs du mistralisme, c’est le sort fait, en France, pendant le Stupide, à de faux bardes écossais, ou à des dramaturges norvégiens, ou à de mornes exaltés américains (je dis ceci pour Whitman, non pour l’extraordinaire Edgar Poe) dans le même temps qu’on dédaignait systématiquement le Virgile Maillanais et l’Ovide, ou le Catulle avignonnais. Car la Grenade Entr’ouverte et les Filles d Avignon d’Aubanel laissent loin derrière elles, pour le jet lyrico-sensuel et les inclusions exquises de couleur dans la lumière, les pièces les plus fameuses de Henri Heine et de Lenau. De même, les contes et poésies familières de Roumanille respirent une bonhomie, assaisonnée de malicieux bon sens, qui qualifie et spécifie la plus fine veine de la tradition littéraire française, de nos proverbes et fabliaux. Des dizaines de milliers de lecteurs et d’admirateurs virtuels existaient, dans les trois générations de 1860, de 1875 et de 1890, pour ces trois catégories de chefs-d’œuvre, personnifiées dans ces trois poètes, si divers et groupés comme le furent du Bellay, de Baïf et Ronsard. Il s’agit ici d’un art direct, humain par ses attaches au sol, et divin par ses ailes, que les illettrés eux-mêmes comprennent et savourent, à condition de n’avoir point le goût naturel, ni la curiosité instinctive, déformés ni pervertis par un enseignement de ténèbres. Non, le vrai motif de la méconnaissance de la Pléiade provençale, ce fut, avec une envie concentrée dans quelques cénacles littéraires (où traînait, sans fondre, un iceberg de fiel comme