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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

ou attaquaient le félibrige, soit comme « incompréhensible en français », soit comme « séparatiste », combattaient en lui, au fond, une esthétique traditionnelle, mortelle à la leur, une raison capable d’annihiler leurs instincts. Ils lui en voulaient de brandir le flambeau de sincérité au-dessus de la tourbe de leurs attitudes et de leurs mensonges. Le mistralisme est, au XIXe siècle, la seule école de poésie vraie, naturelle en ses racines, simple et droite en sa tige, embaumée et complexe en ses fleurs. Mistral est le type du génie équilibré et parfaitement maître de soi-même, qui est le génie pour de bon, l’autre, celui de la démesure, n’en étant, en somme, que la caricature. Il est au Rhône ce ce que Goethe est au Rhin, ce que Ronsard est à la Loire, ce que Villon est à la Seine. Car le génie poétique contracte avec l’eau les mêmes rapports mystérieux que la civilisation.

L’explication courante ne tient pas, du dépris où fut maintenue la pléiade félibréenne pendant près de soixante ans : « C’est écrit en patois, donc incompréhensible. » D’abord la langue d’oc, qui a fourni, au siècle passé, toute une littérature à la France et brillé, au moyen âge, d’un incomparable éclat avec les troubadours, n’est pas un patois. La vérité est que trois séries d’œuvres et de chefs-d’œuvre forment notre patrimoine national, au cours des âges et jusqu’au XIXe siècle inclus : la littérature française de langue d’oïl ; la littérature française, de langue d’oc ; la littérature française en latin, sur laquelle le poète érudit Pierre de Nolhac a fait de