Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
L’ABERRATION ROMANTIQUE

syntaxiques, de ses conceptions ; et ses phrases et mots lui viennent avec ses impressions et ses images. Sinon, qu’il aille se promener ! L’art est un élan, un besoin de la nature intérieure, repris par une certaine application, que ressaisit et domine à son tour l’impulsion créatrice, jusqu’à l’achèvement.

J’ai vu cela de près : mon père était un improvisateur merveilleux, un latin ailé, un esprit d’oc en langue d’oïl, pétri de soleil et de lumière, qui riait en pleurs, comme Villon, sentait tout, devinait le reste, et exprimait tout, en se jouant. Il avait naturellement, en lui, ce nombre, cette harmonie, qui naissent et meurent avec les véritables maîtres, le don de création spontanée. Or, adorant Flaubert (qui était excellent, jovial, tonitruant et rond au possible) et plongé dans son temps sinistre, et troublé, malgré tout, par ce qu’il entendait et voyait, il s’assujettit bien souvent à une révision, à un limage inutiles, selon moi, de son premier jet. Il crut, ou feignit de croire, à l’école du renfermé, pour faire plaisir à Flaubert et à Goncourt, et ne pas mécontenter ce frigide crétin de Leconte de Lisle, ou ce serrurier d’art de Hérédia ; alors que toute sa nature, et le génie félibréen qui était en lui, l’emportaient bien au delà de ces niaiseries. Je pense que, dans ses premiers romans, sa liberté d’allures s’en trouva légèrement entravée, jusqu’au moment, où, avec Sapho et l’Immortel, il envoya promener ces principes de construction, ou d’élaboration, faux d’ailleurs et arbitraires, et n’écouta plus que sa verve merveilleuse, souveraine. J’eus l’occasion, dans les