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L’ABERRATION ROMANTIQUE

Robinson dans son île, était un pied. « Quel symbole ! » — disait-il plaisamment. Au risque de paraître sacrilège (car il y a des dévots de Saint-Croisset) je dirai que ce même vestige m’apparaît dans cette île déserte qu’est la philosophie flaubertienne, appelée depuis bovarysme. Pour trouver de la philosophie dans Flaubert, il faut la loupe (ou mieux le durillon translucide) du papa Renouvier, ce Kant du pauvre, qui en dénichait jusque dans Victor Hugo ! Après tout, en s’appliquant, on peut découvrir le sens métaphysique dans un caillou.

Le style, tant célébré, de Flaubert, est une sorte de rigide mosaïque, verbale et syntaxique, composée, avec une application, une géhenne évidentes, partie pour l’œil, partie, et surtout, pour l’oreille, pour le « gueuloir » comme il disait. Car il essayait sa phrase, non en la méditant, comme il se doit, mais en la parlant. Prenez la phrase de Chateaubriand, enfermez-la dans un cachot, laissez-la durcir et sécher à l’abri de l’air et de la lumière, ajoutez-y quelques épithètes, donnez-lui, ici et là, un coup de pouce blagueur, et vous avez la phrase de Flaubert, la phrase pensum.

Mais le succès de Flaubert, venu progressivement et jusqu’aux illettrés, tient à ceci que toutes les bourdes et rêveries du siècle habitaient ce bourreau de soi-même. On en trouve l’exposé complet dans sa correspondance, et il était superflu qu’il prît la peine de leur faire un sort dans Bouvard et Pécuchet ; car il est à la fois Bouvard et Pécuchet. Certains écrivains demeurent, toute leur vie, des enfants,