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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

que l’on croit un sage. Frappé par les contradictions du code napoléonien et de la vie contemporaine, il extrait, de ces heurts, des drames qui passèrent pour généraux, et qui ne sont que circonstanciels. L’homme que j’ai rencontré dans ma jeunesse, quelquefois, chez des amis communs, était adéquat à l’œuvre, faiseur de mots à l’emporte-pièce, mais d’esprit médiocre et d’une terrible prétention. Il était court, dans tous les sens, comme son théâtre, et il visait, comme nous disions, à épater.

Sardou, au contraire (qui a un peu moins vieilli, parce que moins prétentieux) était le bavard intarissable et bon enfant. Il connaissait vingt anecdotes sur la Révolution française, qui le faisaient passer pour un puits de science, et qu’il avait hâte de placer, dès le potage, jetant des yeux inquiets sur ses émules en conversation. Ces anecdotes étaient trop bien conduites, et d’un imprévu trop prévu, ce qui fait qu’on ne les écoutait guère, et que les amants mondains (qui sont les plus malheureux de tous, parce que les plus épiés) en profitaient pour se faire des petits signes à la dérobée, tandis que les autres étaient distraitement suspendus aux lèvres ourlées de l’intarissable causeur. Forcé de s’interrompre pour boire, il faisait signe de la main qu’il n’avait pas fini, qu’on ne devait pas le couper : en somme, un cher raseur en cent cinquante représentations. Son théâtre est un bavardage très scénique, qui n’a pas plus de prétentions que les féeries de notre enfance. Mais on s’ébahit tout de même aujourd’hui qu’il ait pu être pris au sérieux, car il ne