Page:Léon Daudet – Le stupide XIXe siècle.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
L’ABERRATION ROMANTIQUE

des circonférences ; seulement nous ne les percevons pas. Je n’insiste pas sur la littérature engendrée par les Trois Mousquetaires et les Mystères de Paris. Elle a trouvé sa véritable expression avec le cinéma actuel, qui frappe les yeux, en effleurant à peine l’esprit.

Quant à ce prodigieux Balzac (auquel ne manqua, pour égaler Shakespeare, qu’un sens poétique et féerique, que je considérerai volontiers comme la fleur de l’esprit humain, comme la pointe de diamant de la personnalité), quant à Balzac, on dirait qu’il a voulu suppléer à tous les manques, à toutes les lacunes de ses contemporains. Il est le gouffre éclairé, où se précipitent, pêle-mêle, les observations justes, les considérations judicieuses, les avertissements solennels, les prophéties réalisées. Il bat le rappel du méconnu, en mobilier comme en philosophie, comme en politique, comme en économie politique. Le bon sens se réfugie chez lui en tumulte et se fait sa place avec une véhémence trouble, qui n’appartient guère en général qu’à l’insanité. Il est le remède de Hugo, de Lamartine, de Mme  Sand, mais un remède tellement rude, compact et cru, que les petits estomacs de son temps n’osent point l’avaler ; « Oh ! comme il y en a, comme c’est noir ! J’ai peur de vomir. » Il est l’huile de foie de morue qui va porter le soulagement dans les cavernes de la phtisie romantique, une huile où nagent encore d’amers petits morceaux de morue,

Brave Balzac, courageux Balzac, que de fois j’ai songé à lui, à sa jugeotte tourangelle, en exil parmi ces nains boursouflés, à sa bonhomie laborieuse, à