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LE STUPIDE XIXe SIÈCLE.

plusieurs générations. Ainsi ni Balzac, ni Mistral, ne furent-ils de l’Académie, ne connurent-ils la popularité. La sottise choisie et la sottise diffuse du XIXe les rejetèrent. Balzac rebuta par son insoumission au poncif du progrès perpétuel, Mistral par son ordre sublime ; l’un et l’autre par leur profondeur rythmique, qui fait que les ondes courtes ne les peuvent saisir. Quand la corde lyrique ou satirique, ou réaliste, qui constitue l’instrument séculaire, la harpe majeure, se trouve détendue d’une certaine façon, elle ne perçoit, ni n’exprime plus certains accords. Les grands esprits naissent encore, mais leurs travaux ne prennent point leur rang et leurs efforts ne portent plus. Si Stendhal passa inaperçu, et Balzac à demi inaperçu, c’est que le cabotinage romantique, non contrebattu par la critique, avait gâté le goût général. La mauvaise monnaie chassait la bonne.

On s’est efforcé, après coup, de découvrir des mérites divers à Dumas père et à Eugène Sue. Leur seul mérite véritable fut de n’exiger aucune autre attention, chez le lecteur, que l’attente, la curiosité bestiale de ce qui va arriver. L’aventure n’est rien ou presque rien. Ce qui la motive est tout. L’assassinat, l’empoisonnement, la pendaison, le feu, le couteau, la rage, l’amour, la haine, le désir n’ont, chez ces deux romanciers dits populaires, aucune adhérence avec le réel, et en deviennent insignifiants. Ce sont des massacres d’innominés et des catastrophes dans le vide. Il se passe peut-être des choses effroyables dans le monde des triangles et