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L’ABERRATION ROMANTIQUE

tique. Mais tout ce que l’on pourrait exprimer à ce sujet est dépassé, de cent coudées, par ce chef-d’œuvre de Maurras, les Amants de Venise, analyse et synthèse des amours pathétiques de Mme Sand et de Musset, et qui est un des rares monuments de la critique, au siècle dénué, dont nous nous occupons ici. L’œuvre de Mme Sand offre ceci de particulier que la démarcation du factice et du prédicant (où elle est insupportable) et du sincère (où elle atteint au charme le plus rare) y est très discernable. Quand elle ne sent pas ce qu’elle dit, quand elle est en représentation, elle bavarde à la façon d’un perroquet, ou d’un merle élevé par un socialiste révolutionnaire. Aussitôt qu’elle est elle-même, une dryade avec un encrier à la ceinture, elle se condense et se clarifie.

Qu’on ait pu la rapprocher de Balzac, la comparer à Balzac, c’est un scandale. Elle est tout instinct, et une haute raison brille chez Balzac. Mais Balzac, après un copieux et limoneux entraînement romanesque, combattit de front la plupart des préjugés de son temps, que flattait Mme Sand. Aussi son temps lui fit-il la vie dure. Il n’eut jamais, en dehors d’une élite, que le public de l’étonnement ; et ce grand peintre de la passion féminine passa inaperçu de presque toutes les femmes et amoureuses de son époque. Balzac prosateur est, avec Mistral poète, le génie français authentique du XIXe siècle, si l’on appelle génie le fait d’embrasser, d’exprimer et de dominer les idées et les impressions majeures de tout un cycle littéraire, artistique et scientifique et de