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L’ABERRATION ROMANTIQUE

mais en écartant ceux qui le gênent et en exaltant ceux qui le corroborent. Sa fameuse Critique de la Révolution française (qui fit scandale, à l’époque où elle parut) est une critique pittoresque et fort littéraire, mais « conservatrice » et ne s’appuyant guère que sur des raisons sentimentales et morales, alors qu’une critique « réactionnaire » se serait surtout attachée aux erreurs politiques des Droits de l’Homme. Ce qui l’indigne, c’est 1793, non 1789, ce sont les moissons, non les semailles. Ma génération a été nourrie de Taine, pluns encore peut-être que de Renan ; et l’esprit des Débats et de la conférence Molé, l’esprit centriste, comme l’on dit, s’en est trouvé singulièrement renforcé. Quant à la critique littéraire de Taine, elle est sommaire et abusive, sans lignes d’horizon, fondée sur l’incertitude scientifique, bref, telle qu’on pouvait l’attendre d’un homme qui n’a, en aucune façon, le sentiment du beau. Un laid moyen lui paraît plus utile, donc plus souhaitable, que le beau véritable, et ses hardiesses philosophiques (vertu et vice comparables au sucre et à l’alcool, etc.,) sont à pleurer. Le déterminisme de Claude Bernard, d’une part, la philosophie de Spencer et de Stuart Mill de l’autre, ont eu sur lui une fâcheuse influence. On trouve chez Taine, habillés en gens du monde, lavés, et pomponnés, les principaux préjugés du siècle, et la lecture de Thomas Graindorge nous le montre pourvu de cette fausse fantaisie, qui dérive de Sterne et de Xavier de Maistre. L’inaptitude au rire et à l’ironie transforme peu à peu son œuvre en désert, à