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une cause d’optimisme, alors qu’il semblerait que la somme des intuitions et observations fâcheuses et désagréables dût l’emporter sur la somme des agréables. Mon bien cher ami, le docteur Henry Vivier, mort avant cinquante ans, et dont j’ai essayé de retracer le portrait dans mes Souvenirs, était un observateur intuitif, d’humeur toujours joyeuse et même allègre, bien qu’atteint d’un mal qui ne pardonne pas. Comme je le félicitais de cette vaillance, il me répondit un jour : « Le plaisir de voir et de deviner ce qu’on ne voit pas est chez moi toujours nouveau et roboratif. » En effet, comprendre est un plaisir, conjecturer est une volupté, et vérifier la justesse de la conjecture, en étendant ainsi la compréhension, est un délice.

Chose remarquable, la distraction, la suspension, aussi complète que possible, des forces attentives de l’esprit est très favorable à l’intuition. Voulez-vous essayer votre capacité intuitive ? Avant de sortir de chez vous, faites le vide dans votre esprit, secouez toute préoccupation, essayez de réaliser cet état de blanc intérieur, d’écran vide d’images, que connaissent et savourent les rêveurs et les musardiers. Puis, franchissez votre seuil et regardez distraitement les choses et les gens. La première idée qu’ils provoqueront en vous, sera, ou non, une intuition. Baroque ou raisonnable, recueillez-la, et examinez-la ensuite à loisir, comme un papillon saisi au vol. J’ajoute que la cadence du pas, le mouvement de l’automobile, du bateau, du chemin de fer surtout,