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déceptions et de toutes les amertumes d’ici-bas, servi dans des phrases alertes et pimpantes, faisait son régal aux jours sombres. Étonnez-vous, après cela, de la riante et proverbiale amertume des paysans riverains de la Loire, près de laquelle était né ce délié entre les déliés, ce subtil entre les suraigus, Jules Lemaître !

L’homme le mieux doué et le plus optimiste a toujours un coin de son imagination qui souffre, désire ou regrette. Qui n’a pas sa petite nostalgie, ne fut-ce que d’une gracieuse passante entrevue, et qui emporte avec elle un lambeau d’émotion sensuelle ou de rêve ? Si cet homme-là a l’oreille juste et le sens du rythme, il aura recours à la musique, ou au drame musical, qui est comme le réceptacle sonore d’un agglomérat d’inquiétudes hautes. En écoutant sangloter Beethoven, gémir Schumann et rugir Wagner, il songera musicalement, — (c’est-à dire les sons remplaçant les mots) : « Celui-là était plus sur le gril que moi. » La musique, notamment, charme le tourment d’amour par un étalage de frénésie amoureuse qui rend les amants les plus ardents comme honteux de l’exiguïté de leurs moyens. Que sont vos larmes et crispations solitaires, en présence de la Sonate à la Lune, des appels « à la lointaine aimée » ou des « Dichterliebe » ou de Tristan et Yseult ! Un monsieur qui avait mal aux dents se trouva guéri du coup par le spectacle d’une vieille dame que tamponnait un autobus. C’était vous et moi, ce monsieur. Le prestige de la musi-