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LE MONDE DES IMAGES.

En général les abstractions s’oublient plus vite et plus complètement que les notions concrètes. Ce que nous traduirons, dans notre système, en disant que les cônes d’ombre, projetés sur les segments, rejoints ou conjoints, d’hérédofigures différentes, ont plus d’amplitude et de mobilité que ceux projetés sur un seul segment d’une seule hérédofigure.

L’oubli peut être contagieux et collectif. Le phénomène de l’oubli en commun, qui s’observe dans les réunions, les académies et les assemblées (votes de textes de loi contredisant des textes antérieurs, jugements rapides et inconséquents, etc…) a, quant aux sciences notamment, une importance considérable. Il fait que certains travaux originaux, ayant exercé une influence sur les conceptions d’une génération donnée, n’ont plus de prise mnémonique sur la génération suivante, laquelle vit ainsi, de confiance, sur une doctrine dont les bases lui échappent. D’où l’écroulement soudain de cette doctrine et de ses annexes, au milieu de la stupeur générale. C’est une des conséquences de l’oubli en commun. Il y en a d’autres, et l’on peut dire qu’en général les archives, dont la fonction théorique est de réveiller la mémoire, sont des conservatoires de l’oubli.

Surabondants en mémoire héréditaire, capables de réveiller la mémoire personnelle, à l’aide de mots pénétrants et excessifs, les poètes sont les remèdes de l’oubli. C’est là leur fonction éminente, principale, et l’on peut admettre que, sans eux, certains sentiments humains, les plus délicats comme les