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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

S’il est vrai que le mot descend de l’image, intérieure et héréditaire, dans la vie courante, sous le stimulant de l’éducation et de la sensation, peut-il remonter de la vie courante dans le haut domaine de la personnalité intime ? Jusqu’à un certain point, je n’hésite pas à répondre oui. Celui qui apprend une langue classique ou une langue étrangère, introduit, dans son esprit-corps, des éléments seconds de personimages qui peuvent, à la longue, le modifier et le troubler, l’enrichir ou le diminuer, selon les cas. Le plus grand exemple connu en est le mouvement de la Renaissance, sorti des humanistes de cette admirable époque, chez qui le latinisme et l’hellénisme étaient devenus comme une seconde nature. Quant au latin, notamment, il n’est pas douteux que nos origines latines soient puissamment réveillées et affermies en nous par une solide étude des grands classiques, Virgile, Horace, Lucrèce, Tacite, Cicéron, etc… telle qu’on la pratiquait encore, de mon temps dans l’Université. J’ai gardé une reconnaissance, qui ne finira qu’avec moi, à mes maîtres d’alors, à Charlemagne et Louis-le-Grand, — un Rouzé, un Devin, un Maynal, un Salomon, un Boudhors, un Chabrier, un Jacob, — qui m’ont façonné la mémoire de telle sorte que, dans les circonstances correspondantes, joyeuses ou graves, de mon existence, la formule latine m’en est apparue en même temps que la formule française, les deux très souvent se rejoignant. Il m’arrive encore assez souvent de penser en latin, ou d’ap-